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Trois arrêts rendus par la Cour de cassation le 6 février 2008
ont eu un retentissement important tant juridique, que psychologique pour
les familles, voire idéologique.
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1) Les faits :
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Les trois affaires avaient des faits similaires : une mère avait fait
une fausse couche en tout début de grossesse, respectivement 21 semaines
daménorrhée (absence de règles) pour un foetus
de 400 grammes, 21 semaines pour un foetus de 286 grammes, et 18 semaines
pour 155 grammes.
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Elles avaient toutes trois demandé que soit rédigé un
acte d'enfant sans vie, ce qui leur avait été refusé
par l'officier d'état civil, en application du paragraphe 1.2 de la
circulaire DHOS/E 4/DGS/DACS/DGCL n° 2001-576 du 30 novembre 2001 relative
à lenregistrement à létat civil et à
la prise en charge des corps des enfants décédés avant
la déclaration de naissance, qui pose comme critère d'acceptation
de l'acte d'enfant sans vie les critères de définition de l'enfant
par l'OMS : 22 semaines d'aménorrhée ou un poids de 500 grammes.
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La Cour de cassation a jugé que :
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« Lorsqu'un enfant est décédé avant que sa naissance
ait été déclarée à l'état civil,
l'officier de l'état civil établit un acte de naissance et
un acte de décès sur production d'un certificat médical
indiquant que l'enfant est né vivant et viable et précisant
les jours et heures de sa naissance et de son décès.
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A défaut du certificat médical prévu à l'alinéa
précédent, l'officier de l'état civil établit
un acte d'enfant sans vie. Cet acte est inscrit à sa date sur les
registres de décès et il énonce les jour, heure et lieu
de l'accouchement, les prénoms et noms, dates et lieux de naissance,
professions et domiciles des père et mère et, s'il y a lieu,
ceux du déclarant. L'acte dressé ne préjuge pas de savoir
si l'enfant a vécu ou non ; tout intéressé pourra saisir
le tribunal de grande instance à l'effet de statuer sur la question.
»
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Ainsi: soit l'enfant est né vivant et viable avant de mourir, c'est
attesté par un médecin : on fait un acte de naissance. Soit
tel n'est pas le cas et on fait un acte d'enfant sans vie.
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La Cour de cassation précise que larticle 79-1, alinéa
2, du code civil ne subordonne létablissement dun acte
denfant sans vie ni au poids du foetus, ni à la durée
de la grossesse, et en déduit que la cour dappel, qui a ajouté
au texte des conditions quil ne prévoit pas, la violé.
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En effet, si lofficier détat civil était tenu
dappliquer la circulaire du 30 novembre 2001 en vertu du principe
dautorité hiérarchique du signataire de la circulaire,
elle ne simpose pas aux magistrats.
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La circulaire a une valeur interprétative des lois mais elle na
pas force de loi.
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2) Les conséquences induites par ces décisions :
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· Quest ce quun « acte d'enfant sans vie »
?
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C'est une création de la loi du 8 janvier 1993, qui est une des plus
grandes réformes récentes du droit de la famille.
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Cet acte nest ni un acte de naissance, ni un acte de décès
supposant préalablement la vie.
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Il sagit dune simple mesure de publicité, dune simple
mention administrative, permettant davoir accès à certains
droits sociaux et autorisant les parents à réclamer le corps
de lenfant, afin dorganiser des obsèques, par exemple.
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Ces enfants peuvent recevoir un prénom, figurer dans le livret de
famille et être inhumés, mais ils n'acquièrent pas de
personnalité juridique : ils n'ont ni droits, ni filiation, ni nom
de famille.
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Cest la loi et non la Cour de cassation qui parle "d'enfant", terme
qui n'est pas une notion juridique (on connaît le mineur si son âge
compte, le descendant si sa filiation compte, mais pas l'enfant, en droit).
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Sans doute le législateur aurait-il pu être plus rigoureux,
mais l'enfant à naître ou mort-né n'est pas une personne.
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· Une autre question est soulevée, celle de lavortement.
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Y a-t-il un danger pour le droit d'avorter du fait de cette décision
?
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Pas plus aujourd'hui qu'en février 1993. Comme vu supra, la Cour de
cassation n'a pas qualifié un foetus d'enfant, c'est le législateur
qui l'a fait en 1993.
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Sur l'avortement, le problème vient de ce que l'acte d'enfant sans
vie semble être obligatoire (en raison de l'usage de l'indicatif dans
le texte) pour l'enfant né non viable. Il s'en suit que le père,
la mère ou les autorités médicales doivent effectuer
la déclaration.
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Le code civil précise que ces actes énoncent le lieu de
l'"accouchement", ce qui semble exclure les fausses couches et les avortements,
mais aucune définition de l'accouchement ne figure dans le code civil,
ce qui rend la jurisprudence à venir très incertaine.
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Et que cet acte mentionne le nom des parents fait échec à l'article
L. 2212-4 du Code de la santé publique qui dispose que la femme non
émancipée peut protéger le secret de son avortement
à l'égard des titulaires de l'autorité parentale.
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Il y a donc une possibilité de conflit entre la procédure de
publicité de l'acte d'enfant sans vie qui suppose la
révélation de la parenté et les dispositions protectrices
du secret en matière d'avortement.
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Un éclairage légal sur les conditions détablissement
de lacte est souhaité par certains commentateurs.
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A défaut, il est à prévoir de nouvelles décisions
de justice à ce sujet...
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